Je ressuscite ce petit texte co-écrit avec Beñat Laneguine (alias Canardo pour certains). Nous avions laissé voguer notre imagination, résultat : il diffère un peu de ce que j'écris seule :
Adossés à une Ford T, à l’abri de l’immense temple protestant dominant la ville de Brainstone, Bonnie et Clyde se préparent
à commettre leur premier méfait, un coup d’une simplicité déconcertante. Durant des semaines, ils ont observé les habitudes de chacun, les allers et venues des clients. Durant des semaines, ils
ont dessiné les plans du magasin et de ses alentours tout en imaginant le scénario qui sera le leur. Tout est calculé, même les rondes du shérif sont répertoriées dans un vieux cahier d’écolier.
Le risque zéro est assuré.
Le jour tant attendu arrive enfin. Un soleil de plomb assomme la ville. Dans les rues, il n’y a pas l’ombre d’une âme qui
vive. Clyde réajuste son panama après s’être essuyé le front avec son mouchoir. Bonnie replace les plis de sa jupe, remonte ses chaussettes et se recoiffe. Ils sont calmes et concentrés, les
traits de leurs visages sont à peine tendus. Après avoir échangé un dernier regard, ils partent chacun de leur côté.
Comme tous les mardis, Angela tient seule l’épicerie. Bonnie et Clyde ont remarqué que son mari vaque à d’autres
occupations. Ce sera un coup facile, mais ils savent que d’autres viendront où coulera le sang. Les battements de leurs cœurs s’accélèrent, leurs mains ne tremblent pas, c’est leur destin. Une
montée d’adrénaline les envahit. Le couple joue maintenant dans la cour des grands. Ils n’ont peur de rien, leur instinct les guide. Bonnie et Clyde sont nés pour braquer.
Ils approchent en silence.
Devant l’entrée, la patronne somnole sur son rocking-chair. Ses mouvements sont lents, ses kilos sont là. Ses cheveux gris
et graisseux collent à ses tempes. Sa robe épouse avec difficulté ses formes débordantes. Sa canne repose à ses côtés. Bonnie grimace en regardant ce tas informe affalé au fond du fauteuil à
bascule. Clyde s’en moque, il arrive tranquillement sur le côté du bâtiment, les mains dans les poches.
Il a pour mission de voler, elle, elle doit maîtriser la vieille impotente.
Les ronflements de l’épicière couvrent les légers bruits provoqués par leurs chaussures. Clyde, tel un chat, passe par la
fenêtre pendant que Bonnie se saisit de la canne. Il trouve rapidement cet or qui lui tend les bras, il s’en empare puis s’éloigne en direction de l’auto. Il tend l’oreille et reste aux
aguets.
Bonnie lève son arme et le coup part en plein dans la tête.
Imperturbable, elle rejoint l’homme de sa vie. Celui-ci est surpris, jamais elle n’avait perdu la raison.
— Pourquoi l’as-tu assommée avec sa canne ? demande Clyde
— Elle ronflait trop fort ! répond malicieusement Bonnie, une étrange lueur dans les yeux.
Elle esquisse un sourire, l’embrasse rapidement. Le temps presse. Ils sautent sur leurs vélos et décampent avec leur
butin.
Bonnie, neuf ans, et Clyde, dix ans, ont trois kilos de bonbons dans leur musette et un palmarès à venir.