J'ai retrouvé ce texte déjanté écrit pour un jeu d'écriture du forum Maux d'Auteurs (la phrase en rouge était imposée)
Un matin, un lion et une hyène du jardin des Plantes réussirent à ouvrir la porte de leur cage, fermée avec négligence. Cinq heures du mat’, Paris s’éveille, la liberté est à leurs pieds…
Lui choisit de flâner aux terrasses des cafés, avenue des champs Elysées, puis de somnoler sous les parasols du Trocadéro. Il ne chasse que la nuit. Le jour, le roi des animaux se prélasse tout en repérant tranquillement ses proies. Le temps lui appartient.
Elle, elle décide de rejoindre ses copines au bar des Charognardes. Il lui faut traverser Paris. L’arrière-train bringuebalant, elle longe les rues de la capitale. Gênés, les mâles qu’elle croise l’évitent, ils préfèrent scruter le sol bétonné et crasseux. Ils se font petits, tout petits. À leur vue, la bouche de la hyène se plie en un rictus mauvais, elle émet des grincements aigus. Dans ses yeux se distillent quelques gouttes de ce plaisir pervers qu’elle recherche tant, mais aucun d’eux ne peut la satisfaire, car un seul occupe son esprit. Cependant, leur attitude la rassure sur sa capacité à dominer. Elle est soulagée, rien n’a changé, ils ont toujours peur de son ombre, peur de la mort qui rôde.
La journée du roi des animaux s’étire doucement. Il attend patiemment le coucher du soleil, alors viendra le moment de la chasse. Pour l’instant, il imagine la gazelle qu’il va se mettre sous la dent et rêve de son odeur sauvage, de sa peau ambrée. Il s’en lèche les babines, une douce chaleur envahit son ventre, ses pattes le démangent. Il émet un léger grognement.
La hyène a passé la journée avec ses alliées, des heures de bavardages, de stratégies, d’essayages, de maquillage. Elle est enfin prête. Elle connait sa proie, ses habitudes, ses faiblesses. Depuis des mois, elle épie l’animal et guette la moindre opportunité. Son instinct ne l’a jamais trompée, son heure est enfin arrivée. Ce lion, elle le veut, elle l’aura.
La lune pleine et ronde a relayé maintenant le soleil, l’air se rafraîchit tandis que les esprits et les corps s’échauffent. L’alcool coule à flot sous les spots du Savane dancing. Le lion est accoudé au bar, le regard à l’affût, le nez en l’air. Il flaire, désire. La hyène et sa meute l’ont aussitôt repéré. La traque peut commencer. Il est parfait : son corps est long et souple, sa crinière fauve descend en cascade, son pantalon laisse deviner des gigots fermes, ses épaules musclées et son buste trapu appellent la femelle à se blottir.
Le pelage moucheté luisant sous les lumières tamisées, elles s’installent au bar, près de lui. Tout près.
Trop absorbé par le corps d’une antilope qui ondule sur la piste de danse, le fauve ne les a pas senties pas s’approcher. La hyène le frôle. Surpris et un peu paniqué, il a le cœur qui s’emballe. Il contemple ce visage tacheté de fards aux couleurs criardes, ce rictus qui articule des mots qu’il ne comprend pas. Elle l’enlace, ses complices l’encouragent. Elles ont faim et sont concentrées sur leur victime, l’ivresse de la chasse les transporte. Leurs yeux se font cruels, une patte s’avère sournoise et se balade entre les cuisses non consentantes de la proie. Elle se fait plus pressante. Plaqué contre le zinc, il ne parvient pas à se dérober. Une bouche étouffe la sienne, des cris aigus saluent la victoire. Pris à la gorge, le lion n’a pas bougé. Trois heures du mat’, Paris sommeille, le pari est remporté, Sa Majesté est matée.