La co-écriture donne parfois naissance à des délires féconds d'où émergent des textes originaux, ce fut le cas de celui-ci, signé avec Beñat Laneguine (connu aussi sous le pseudo de Canardo) :
La porte s’ouvre, le président de la cour et ses assesseurs se positionnent devant leur chaise. Les autres aussi sont
debout, même le prévenu, un habitué des lieux. Une fois le rituel de présentation accompli, s’ensuivent pendant de longues heures les témoignages boiteux, les interrogatoires douteux. L’accusé
donne peu de voix. Il se considère comme innocent alors… Après lui, le déluge. D’ailleurs il refuse de répondre aux questions qui lui sont soumises. Ses pensées le conduisent vers Noé qu’il
aurait dû suivre, au lieu de retourner sur le lieu du crime. Aujourd’hui, il voguerait tranquillement loin d’ici. Mais il n’avouera ce regret à personne, pas même à Lamech, assis au fond de la
salle et dont le regard absent pèse sur ses épaules.
Il se moque de tout ce cirque, il devine trop bien le dénouement de l’histoire. Et puis, ce n’est pas son premier séjour à
l’ombre. Sans conviction, le président essaie de lui faire la morale, son rôle est de juger, mais aussi d’expliquer.
S’ensuit le réquisitoire du procureur général. Enfin, dans un silence glacial, celui-ci réclame la réclusion à perpétuité.
Sa voix tonne, résonne et impressionne. Le public venu nombreux se recroqueville sur lui-même sans quitter des yeux l'homme encadré par les cognes. C’est lui qui les passionne le plus, c’est lui
qu’ils sont venus voir. Comme eux, le jury est troublé et captivé par cette légende vivante qui demeure inébranlable et impose à tous le respect. Son aura est perceptible. Il leur fait peur et
pourtant une forme d’admiration se lit dans leurs regards.
L’heure des délibérations est venue. Dans les coulisses, le débat s’éternise. Dans la salle d’audience, les gens
s'impatientent. Lui, il attend. Il sait que ce jugement ne sera pas le dernier.
La décision est enfin prise. Un léger brouhaha anime le palais. Chacun reprend sa place dans la sinistre pièce. La justice
va être rendue.
Après s’être éclairci la voix, le juge prononce enfin la sentence : c’est un multirécidiviste, il est donc condamné à une
peine de sûreté de cent cinquante ans de prison. L’ancien n’en a cure, il ressortira. Milieu ou gendarmes, tous le craignent. C’est lui le patron, le patriarche. Mathusalem a tout son
temps…