Voici le texte créé pour le jeu d'écriture n°82 du forum littéraire Maux d'Auteurs. Le thème était libre, mais l'histoire devait commencer par "Et si... ?). L'occasion pour moi de "revisiter" à ma façon une chanson que j'aime :
Et si… j’avais été plus sage ?
Cette matinée-là, fuyant les vieilles Rétaises cachées derrière leurs volets verts, nous courûmes à perdre haleine jusqu’au bois de Trousse-Chemise. Seules les victuailles s’entrechoquant dans notre panier et nos souffles courts faisaient écho à nos pas pressés. Passé l’orée, malgré un soleil déjà haut, une ombre salvatrice nous protégea de la chaleur inhospitalière. Les aiguilles de pins, trop sèches, craquaient sous nos espadrilles. Sans ralentir, nos jambes nous portèrent jusqu’à l’anse débouchant sur notre plage, loin des importuns. Là, nous nous affalâmes sur le sable où la marée avait roulé puis abandonné quelques galets roses et ocre. Nous nous tenions les côtes en riant de notre impertinence et en imaginant les ragots qui, portés par des bouches édentées, devaient déjà courir à travers les ruelles de l’île de Ré.
Nous nous baignâmes à la découverte, nous éclaboussant tels les enfants que nous étions encore ; épris l’un de l’autre, sans jamais rien oser, comme des adolescents troublés et malhabiles.
Toujours gaie, les joues rosies, tu étais ma princesse et je voulais être ton chevalier.
Insouciants, nous avions grandi ensemble, sans craindre de croquer à pleines dents une vie riche d’espiègleries. Au fait des secrets de l’un et de l’autre, main dans la main, bouche contre oreille, nos voix chuchotaient des messes basses que bien des curieux auraient voulu entendre.
Sitôt sortis de l’eau, nous profitâmes d’un pique-nique bien mérité et arrosé d’un généreux vin fruité tout en dévorant des tartines, du fromage et des pâtisseries.
Complices.
Comme à chacune de nos escapades, ta voix me charmait. Tu inventais toujours de nouvelles histoires, et moi, assoiffé, je buvais tes mots.
Au fait de nos sens aux aguets, et cependant encore maîtres de nos émotions, nous goûtions cette passion inavouée. C’est du moins ce que je croyais jusqu’à ce que je débouche la seconde bouteille de Muscadet tout en contemplant ta bouche rougie par une poignée de cerises. Une bouffée de désir exacerba mes sens au-delà du raisonnable. Soudain désemparé, je tentai de fuir en regardant au loin, en quête d’un répit.
Devant nous, point de ligne d’horizon, juste une mer grise à perte de vue… Et puis… Mes yeux revinrent vers toi… fascinés par tes pupilles rieuses et enjôleuses pour ne plus s’en détacher.
La tête te tournait.
Je tentai de t’enlacer délicatement mais… mes mains voulurent se rassasier de ta peau, et ma bouche dévora tes lèvres ourlées qui appelaient mes baisers.
J’étais ivre de désir, fou de toi. Plus rien ne pouvait m’arrêter. Je goûtai au fruit défendu que j’avais cru offert sous ta robe légère. Je forçai ton corps à se donner en offrande au mien, souillant notre amour et cueillant ta virginité contre ta volonté.
Moi qui te vouais une adoration sans borne, je déversai mon envie égoïste au creux de ton ventre endolori, malgré tes gémissements plaintifs et les larmes inondant tes joues.
Adultes, nous étions soudain devenus. Amoureuse et émoustillée, tu n’étais plus. Sans un mot, tu m’abandonnas. Sans te retourner, la haine au cœur, tu quittas, pour toujours, l’île de notre enfance.
Depuis, été, automne, hiver ou printemps, pour moi, toutes les saisons sont mortes. Je demeure honteux. Jamais je ne pourrai effacer ce souvenir de ma mémoire.