Voici la modeste contribution envoyée au jeu d'écriture n°79 du site Maux d'Auteurs où il convenait " en quelque sorte" de rendre hommage à Rimbaud :
Nous nous perdîmes de vue le jour où chacun suivit son bataillon, direction Metz. Il emboîta les pas du maréchal Bazaine et moi, ceux du maréchal Mac Mahon. Nous étions tous les deux à portée des lignes de tir de Frédéric-Charles de Prusse, mais sans jamais nous croiser.
Sur les champs de bataille, je n’aperçus à aucun moment son chassepot, même lorsque nos troupes effectuèrent une jonction pour un ultime assaut du côté de Sedan. Une tentative désespérée après des heures de luttes sanglantes pour que, finalement, l’état-major français s’avouât vaincu et autorisât les hommes à battre en retraite.
Au cours de la journée, sous les balles ennemies, je n’eus guère le temps de penser à lui. J’avais ma peau à sauver et celle de mes adversaires à trouer. Cependant, s’il m’avait frôlé lors d’une percée ou d’une reculade, mon cœur aurait deviné sa présence, même furtive. Son odeur ne m’eût pas échappé malgré le soufre irritant nos muqueuses, la fumée des obus obscurcissant la vue ou la mort fauchant à tour de bras et emportant avec elle la raison des survivants.
À présent, repliés à distance respectable des bases prussiennes, et après avoir ramassé nos blessés, abandonné nos morts, récupéré des armes et quelques munitions, nous avions enfin gagné le droit de nous reposer ou de nous divertir.
Malgré la cohue, persuadé qu’il errait aux alentours, je partis à sa recherche. Une fièvre irriguait mon corps rompu par la fatigue, réveillait mon désir.
Je fis le tour de l’étang voisin où certains fantassins piquaient une tête, tandis que d’autres écrivaient à leur bien-aimée ou somnolaient à l’ombre d’un sapin. Les uniformes des différents bataillons se mêlaient sans discernement. Un besoin d’oubli se faisait impérieusement ressentir après les heures terribles que nous venions de partager.
Je passais d’un groupe à l’autre, aux aguets, interrogeant chacun, sans succès.
Après avoir longé l’orée d’un bois jouxtant notre jolie mare vert émeraude, las, je m’apprêtais à rebrousser chemin lorsque je rencontrai ce jeune rouquin aux yeux bleus et aux taches de son dissimulées sous une épaisse couche de crasse. Il me conseilla de suivre un sentier plus au sud débouchant sur un champ à l’écart des troupes au repos. Je suivis ses indications et découvris un trou de verdure baigné d’une douce lumière. Mes yeux émerveillés se promenèrent sur ce paisible val, dominé par une fière montagne, et bordé d’herbes folles mêlées aux haillons d’argent d’une rivière encore vierge du sang de nos soldats.
Soudain, je l’aperçus, au loin, étendu, la tête nue effleurée par un léger vent, la bouche ouverte. Ses pieds reposaient dans les glaïeuls et sa nuque dans le cresson bleu. Il dormait.
J’avançai à pas feutrés, les sens en éveil, le cœur battant la chamade, le sourire en bandoulière, et la main tendue prête à caresser sa peau. On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans. On n’est pas sérieux quand on est amoureux.
À mon approche, il ne bougea pas, n’esquiva pas le moindre geste. Pâle, tel un enfant malade, il faisait un somme tout en souriant à la vie, malgré le froid qui l’enveloppait. À travers les feuillages, les rayons du soleil l’irradiaient sans le réchauffer. Ses narines ne frémissaient pas sous les parfums offerts par la luxuriante nature qui le berçait doucement.
Il avait deux trous rouges au côté droit.