Un duo de plume vous offre ce joli texte, cette révolte toute en finesse et belles lettres, ces quelques mots qui jouent là de bons coups.Lisez, et vous comprendrez mieux ces lignes d'introduction :
Si je n'exécute pas ces ordres, d'autres seront donnés et là, c'est moi qui serai exécuté. Pourtant, tout m’interdit de
céder. Tout va à l’encontre du bon sens, à l’encontre des règles. La tension est là, bien palpable, au plus noir comme un grand jour, à l’ombre des tours comme sur le grand échiquier de la vie
qui nous malmène. Chacun de nous tous ne supporte plus ces ordres arbitraires, ces missions perdues d’avance. Ils m’ont choisi, désigné messager de la vox populi, triste héraut des temps anciens.
Ma mission, me faufiler jusqu’au roi, à la reine peut-être, pénétrer dans cette cour qui pourrait tout aussi bien signer ma mort, et plaider notre cause de condamnés.
À peine sorti du rang, voilà que j’hésite, apeuré de quitter les miens, aveuglé par mon sort hasardeux. Je crois avoir
reculé une fois, ou deux. Mauvaise tactique de diversion. Pauvre cavalier. Si seulement je trouvais l’un de mes compagnons d’armes, au moins aurais-je alors le cran de porter haut ma révolte,
notre cri de rébellion. Mais point de salut, chaque pas est un coup vers la mort, me semble-t-il. Vaincre les ennemis, déjouer les stratégies les plus viles, et puis, alors, seulement, atteindre
la dernière ligne.
Il se dresse enfin face à moi, haut perché, grand et triste sire dont le regard ne daigne même pas se poser sur moi. À ses
côtés, la belle dame si pâle, ma reine, la tendre et délicate souveraine de mes jours. Qui suis-je pour oser poser mes yeux sur le plus infime éclat de ses atours ? Tous les mots mille fois
pensés et répétés, tous ces cris de révolte hurlés par mes compagnons d’infortune, les voici enfermés dans ma tête, avortés aux portes de ma bouche. Comment leur faire ainsi entendre les maux du
poltron héraut que je suis ? Las, je peine, me fatigue à l’effort et m’épuise.
La divine face d’ivoire semble se rire de moi. Fuir, lâchement battre en retraite m’effleure l’esprit lorsque soudain le
roi, comme pour me retenir et prolonger cette partie fatale, avance vers moi. J’espère, crois plus que jamais à la bienveillance du monarque. N’aurais-je finalement pas traversé les lignes
ennemies en vain ? Peut-être le discours sera-t-il plus aisé si mon cœur ne s’emporte pas, séduit par une trop belle figure.
C’est alors que je sens une force monstrueuse me heurter, un terrible coup qui m’abat sans vergogne ni retenue. Je
m’affaisse sur le plateau.
Fous et cavaliers, tours fragiles et petits pions, tous vaincus.
La partie est finie. Echec et mat.