Je suis ravie d'échanger aujourd'hui avec un ami et auteur de talent, François Aussanaire. Nouvelliste aux multiples prix, il a publié cet automne son premier roman, Le dernier refuge des gens de mer, aux éditions Jacques Flament.
Dans ce court roman, François narre avec une pointe d'ironie l'histoire d'un serial killer qui sévit dans un hospice où la principale occupation est de s'ennuyer. Sous sa plume acide et tendre (car on sent qu'il a de l'empathie pour ses personnages), l'auteur prend possession de cet univers confiné, antichambre de la mort pour en faire le théâtre d'actions drôles et tragiques. Le lieu s'anime, une enquête est menée tambour battant et nous la suivons avec intérêt aux côtés d'un ancien marin dont l'avis tranché sur la vie et sur ses congénères égaye ces pages même dans les moments les plus durs. Ce vieux loup de mer nous entraîne avec lui dans cette ultime aventure au suspens terrible. Nous marchons côte à côte, chutons sur un nombre incroyable de décès, assistons à des retournements de situations vraiment inattendus. L'intrigue est tissée avec minutie de la première à la dernière page, le rythme est soutenu et les jeux de mots irrésistibles. Ce roman est à lire sans attendre et à relire sans modération.
Quatrième de couverture :
(...) Alors, pour que personne ne l'oublie, et surtout pas nous, ils ont écrit Le dernier refuge des gens de
mer, en grosses lettres genre faux cuivre, du laiton probablement, sur le fronton de l'hospice.
C'est là que la Sécu des inscrits maritimes parque tous ceux de l'île, mais aussi pas mal d'autres venus du continent,
qui ne peuvent pas s'offrir mieux. Ceux qui n'ont pas eu la chance de périr en mer et qui restent échoués au milieu des champs.
Comme ce foutu chalutier.
Les marins sont comme leurs bateaux, tant qu'ils sont en bon état, c'est pittoresque, ça attire le touriste. Mais dès
qu'ils commencent à ne plus être trop vaillants, ça devient repoussant, limite sinistre. Alors, on les cache. (...)
Une maison de retraite au cœur d'une île de l'Atlantique.
De vieux marins échoués là, presque oubliés, y survivent tristement, s'y engueulent copieusement et y meurent trop
fréquemment. Pourtant, chaque décès apporte un regain d'énergie aux survivants.
La mort comme un coup de jeune !
Un lieu et un ton atypiques pour un roman au cynisme réjouissant.
Interview de l'auteur qui a gentiment accepté de se prêter au jeu des questions réponses :
- Comment t'es venue l'idée de transformer la nouvelle, Horn (publiée dans le recueil, Mortes eaux, éditions Nouvelles Paroles, 2009) en cet excellent roman à la Audiard ?
Comme je le dis en ouverture du livre, c’est, un peu, parce que quelques irresponsables m’en ont donné l’idée, et, beaucoup, pour me tester sur un format plus long que d’habitude. J’ai retenu cette nouvelle, car elle avait bien marché et que, semble-t-il, le contenu s’y prêtait. Sans doute aussi d’un point de vue sentimental (je sais, ça peut surprendre de ma part !) parce qu’elle a été ma première nouvelle primée. On garde toute sa vie une tendresse particulière pour le premier de ses rejetons.
- Écrire un roman est un exercice de style très différent de celui de la nouvelle (rythme, canevas de l'intrigue...). Pour cette première expérience, quel obstacle fut le plus difficile à franchir ?
Ma véritable hantise sur ce projet était de trop délayer les situations et finalement de ne rien apporter d’autre par rapport à la nouvelle originelle. Je souhaitais absolument garder le rythme et en faire un roman qui se lise d’une traite… comme une nouvelle donc. Je sais, c’est un peu obscur comme concept ! Il me fallait introduire d’autres personnages (la directrice notamment), en étoffer d’autres, tout en gardant du début à la fin ce même ton : mon fameux « cynisme réjouissant » dont je suis si fier.
Finalement, comme le roman est assez court, j’ai l’impression que ça a plutôt fonctionné. En tout cas, le résultat correspond à ce que je souhaitais faire.
- Travailles-tu à partir d'un plan détaillé ou pars-tu d'une simple idée directrice qui s'étoffe au fil des pages ?
Sur ce roman, c’était assez facile, car j’avais la trame de la nouvelle, que j’ai respectée assez largement. Comme je reviens de nombreuses fois sur ce que j’écris, par rajouts successifs, ça s’étoffe ainsi progressivement.
- As-tu déjà connu le syndrome de la page blanche ?
Non, car je ne me mets devant ma feuille (hé oui, j’écris encore à l’ancienne, stylo et papier ; ça vient plus naturellement que sur le micro) que quand les idées et même une bonne partie du texte sont déjà solidement ancrées dans ma pauvre tête. Par contre, j’ai beaucoup plus le syndrome de la nuit blanche, à savoir que tant qu’une histoire n’est pas arrivée sur la feuille, elle peut me pourrir mes nuits. Par contre dès qu’elle est écrite, elle disparaît et je peux passer à autre chose et éventuellement dormir.
- Quels sont tes prochains projets d'écriture ?
J’ai déjà une longue nouvelle qui sort chez Flament en janvier, dans la collection « Coté court », sur la confrontation de l’univers circassien et du monde rural. Je commence tout juste un projet de roman situé à Ouessant. On verra bien si je vais au bout. J’espère aussi pouvoir finir un recueil de nouvelles exclusivement maritimes (7 sont déjà écrites) ; et je cogite un projet qui me tiens à cœur : un recueil de nouvelles écrites en alternance par moi et quelqu’un qui m’est proche. Mais ça, c’est une autre histoire !
- Une dernière question, histoire de visiter ton univers : si tu partais sur une île déserte, quels livres emporterais-tu ?
Il me faudrait certainement une malle (de marine bien sûr !) pour tout y mettre et notamment : tout Steinbeck, Calme blanc de Charles Williams, 1275 âmes de Thomson, Malevil et quelques autres de Robert Merle, des nouvelles de Stevenson et d’Hémingway, des romans de Chamoiseau, ceux d’Hugo Verlhomme, même si ça a pas mal vieilli (nostalgie, nostalgie !) et des nouvelles de Pouy, Raynal et Villard, sans oublier quelques Jules Verne… et beaucoup d’autres.
Merci François